De “la Bâtie de l’Orme” à La Chapelle-en-Vercors ou l’histoire d’un village descendu de la colline
Au début du 13ème siècle, sur la colline appelée actuellement “Foirevieille” et nommée en ce temps-là “le Rocher”, s’élevait une forteresse au pied de laquelle s’étendait un groupe d’habitations – l’ensemble portait le nom de ” Bâtie de l’Orme” -” Bastida Ormoe”, dans la langue vernaculaire de l’époque.
Comme en témoignent différents actes notariés, la dénomination de ” Bâtie de l’Orme” se transforma au cours des ans en ” Bâtie des Monts Vernayson” puis ” Bâtie de Vercors”, ” Belle Bâtie” ou simplement “Bâtie”. Le château-forteresse surmontait la crête de l’éminence rocheuse tandis que le village constitué d’une centaine d’habitations et d’une église, entouré de remparts, occupait les parties Sud et Sud-Est de la pente.
La forteresse de la ” Bâtie de Vercors” avait pour vocation de protéger le centre du ” Pagus Vertacomicorius” et de contrôler le passage entre Rousset et la partie Sud-Ouest du Massif. Elle était aussi la résidence du seigneur, vassal de l’évêque de Die. Ce dernier, seigneur-souverain de Vercors étant lui-même soumis à la suzeraineté du Dauphin. Une administration fort complexe qui se compliquera encore quand le Pape Grégoire X décidera, en 1275, de l’union des évêchés de Die et de Valence. Au début du 14ème siècle, les contraintes du régime féodal se relâchant et la centralisation du pouvoir entre les mains du Roi rendant plus sûre la vie dans les campagnes, les fortifications devinrent moins nécessaires à la sécurité des personnes et des biens. En conséquence, les habitants du vieux et haut village de la ” Belle Bâtie” préférèrent des maisons plus faciles d’accès. Ainsi, progressivement, une agglomération se développa autour d’une chapelle construite à 900 pas au couchant du ” Rocher”. Après quelques décennies, cette chapelle donna finalement son nom à l’agglomération et devint le centre paroissial et l’église paroissiale du bourg transplanté.
Un acte de 1399 mentionne, pour la première fois, l’église de La Chapelle-en-Vercors.
La forteresse de la ” Bâtie de Vercors” sera détruite au 16ème siècle pendant les “Guerres de Religion”, guerres particulièrement cruelles qui mirent à feu et à sang le royaume de France pendant près de quarante années. C’est de Gordes, lieutenant du Roi en Dauphiné, chef des catholiques qui ordonna la destruction du château afin d’ôter à ses adversaires, les protestants, Lesdiguières et Montbrun, l’envie de reprendre le Vercors avec leurs troupes “d’hérétiques”.
Dès la fin du 16ème siècle, il est probable que le vieux village de la ” Bâtie” ait été complètement abandonné par ses habitants. Toutefois, on avait gardé coutume d’y tenir la foire. Il semble que ce soit cet usage qui perdurera jusqu’au milieu du 19ème siècle, qui soit à l’origine du nom “Foirevieille”.
La mémoire de l’histoire est si vivace et la toponymie si fortement ancrée dans l’histoire qu’il existe, aujourd’hui, sur le territoire de notre commune, un lieu-dit “Le Château”, précisément situé au pied de la colline de Foirevieille et qu’une famille résidant avenue de Provence, a donné à sa maison, le nom de ” Belle Bâtie”.
Située dans le massif préalpin du Vercors, à une altitude moyenne de 900 mètres, La Chapelle est, au début du siècle, une commune qui compte 1068 habitants. Alors que se précise la menace de la Seconde Guerre Mondiale, La Chapelle également chef lieu de canton du Vercors Drôme bénéficie d’une activité économique très diversifiée. Ainsi en témoigne l’existence de 11 hôtels, cafés-restaurants et cafés, 6 épiceries, 2 laiteries, 2 maréchaux-ferrants, 1 bourrelier, 2 coiffeurs pour dames, 2 coiffeurs pour hommes, 2 boulangeries, 2 boucheries, 4 couturières, 1 tailleur, 2 charrons, 1 ferblantier, 2 modistes, 2 cordonniers, 2 médecins, 1 sage-femme, 1 pharmacien, 1 dentiste, 1 notaire, des laveuses de lessive, des bûcherons, des artisans du bâtiment, 1 scierie… et tous les services publics nécessaires à la vie d’un chef-lieu de canton de moyenne montagne. L’activité agricole qui occupe, à temps plein ou à temps partiel, la majeure partie de la population de la commune est présente dans le village qui inclut une dizaine de fermes dans son périmètre. Les exploitations les plus nombreuses sont réparties dans environ 25 hameaux qui, avec le bourg, constituent le maillage des 4527 hectares du territoire communal.
« Ami, entends-tu le vol noir des corbeaux sur nos plaines ?
Ami, entends-tu les cris sourds du pays qu’on enchaîne?
Ohé ! Partisans, Ouvriers et Paysans, c’est l’alarme !
Ce soir l’ennemi connaîtra le prix du sang et des larmes… »
Refuge pour ceux qui, en 1940, ont entendu ” l’Appel du 18 Juin ” lancé depuis Londres par le Général de Gaulle, La Chapelle est emportée dans la tourmente de la lutte clandestine, dès Janvier 1943. Comme dans tous les points stratégiques, de la ” Citadelle Naturelle du Vercors ” la Résistance s’organise. Les “Combattants de l’Ombre” maquisards venus d’ailleurs et Chapelains exécutent les ordres du ” Plan Montagnards”, en liaison radio avec Londres et Alger.
Pour La Chapelle, l’année terrible sera 1944. C’est d’abord, en Avril, une incursion de la Milice; puis 3 mois après commencera la lente agonie d’un village traqué de toutes parts. A partir du 12 Juillet, le territoire est bombardé et mitraillé sans relâche par les avions de la Luftwaffe basés sur l’aérodrome de Valence-Chabeuil. Bombes explosives et bombes incendiaires détruisent environ le quart des maisons. Les habitants terrorisés se cachent dans la forêt.
Le 25 Juillet, venant de Vassieux où ils avaient été aéroportés, des éléments de choc de la Waffen SS arrivent à La Chapelle qui va vivre des heures hallucinantes. La journée de traque est suivie d’une longue, très longue nuit pour la partie de la population enfermée dans le bâtiment de l’école étroitement gardé par les combattants nazis. Nuit d’apocalypse qui s’écoule lentement à la lueur des flammes jaillissant de l’immense brasier du village incendié. Nuit rythmée par le crépitement lancinant d’un mitraillage répétitif…
Puis vient l’aube tragique qui découvre les corps de seize otages abattus dans la cour de la ferme Albert… Une commune à feu et à sang, des maisons qui ne sont plus que cendres et murs calcinés. Mais surtout, la stupeur muette devant la mort brutale de trente deux habitants âgés de 5 à 82 ans… Les dernières victimes du massacre seront, le 7 Août 1945 cinq enfants du hameau de Gagnaire arrachés à leurs jeux par l’explosion d’une grenade ” abandonnée” là, par des combattants que hantait déjà le spectre de la défaite. Pour les survivants déchirés entre amertume et désarroi, la vie s’écoule pesamment jusqu’au 15 Août, date à laquelle l’annonce du débarquement allié en Provence, fait s’enfuir les troupes d’occupation.
Dans un premier temps, réfugiés dans des abris de fortune, les sinistrés logeront ensuite pendant six années dans des baraquements, où l’eau gèle dans les cruches et où les meubles octroyés par le Secours National, doivent être protégés par des toiles imperméables dans la mesure où le papier goudronné qui recouvre les toitures résiste mal aux intempéries.
Enfin, le 28 Juin 1948, en présence du Préfet, a lieu la cérémonie officielle de la ” Pose de la Première Pierre” du village à reconstruire. C’est l’ingénieur en Chef Albert Pietri, qui supervise les travaux des 9 architectes en charge de la reconstruction. Et dès l’année 1950, des habitants abandonnent les logements provisoires pour emménager dans leurs maisons neuves.